LA GLOIRE DE MON PERE
Il faut que ça pleurniche dans les pavillons, les cages d’escaliers, les villas, les appart’s. Dans le registre perso exhibitionniste, grâce à mon faible lectorat. Ma mère est tout pour moi, mais ça c’est une autre histoire et tous les mecs vous diront un jour ou l’autre la même chose, mesdemoiselles.
Il y a un certain temps on m’a annoncé que j’allais être papa. Avec des larmes, des cris, des menaces, du chantage. Et bizarrement, moi, je n’ai ni paniqué, ni pleuré, ni flippé, ni demandé un avortement ou je ne sais quoi. J’ai juste dit « OK, je le garde, je l’élève, je lui donne le max’ et je l’aimerai, sans toi et plus si affinités ». La douche froide pour la go’, trop surprise. J’avais pas encore 22 ans.
Le topo : j’ai donc un fils depuis 3 ans, et je suis toujours précaire, sans femme, je vis chez mes parents, et je pense faire ma thèse l’an prochain, je taffe dans la plus riche collectivité d’Europe, je sors de temps en temps, je traîne au quartier avec ceux qui bossent, qui chôment, qui vivent, qui s’enrichissent, qui passent le CAPET, qui dealent, qui dorment au poste, qui montent des entreprises, je refais le monde avec eux, qui le traitent d’immonde. J’écris, je rappe, je ne fume pas, je ne bois pas et parfois même, je ne baise pas. Mais c’est pas la vie de rêve, tout ça ?
A 22 piges, j’avais encore moins de thunes, pas de taf, j’étais dans les bagarres, les visites des potes à l’hosto, tatoués aux coups de couteaux. J’enterrais des gens, je séchais les cours pour réfléchir, posé au bord du lac radioactif, je ne fumais pas, je ne buvais pas, je ne baisais pas. Mais hors de question de me défiler, j’assume, cousin. J’ai été élevé dans le regret, quitte à prendre en pleine face le progrès, la foi, le sang, l’amour. Mais j’étais prêt. La meuf était useless j'avoue, mais j’étais jeune et ambitieux, parfois vicieux...euh nan, ça c’est une chanson du 113. Bref, aujourd’hui encore, je serais prêt, je crois.
Bien sûr et peut-être qu’au fond je le savais à la seconde où je lui ai répondu, mais tout était faux, pas d’enceintage-enceintement tout ça.
Mais si je ne doute pas que je sois un jour un bon père, je ne serai jamais à la hauteur du mien dans trop de domaines.
Mon père...C’est un bonhomme, un ouf, un Pagnol des cavernes du bled, un Charles Ingalls bleddard barbare, un Tché Guevarrrra immigré, un Dark Vador en match amical, un Médine, un Lino, un Jamel, un Gandhi, un George Bush, tout ça en mm temps, bref, c’est mon daron, une sorte de M&M’s enrobé de piment tabasco piri piri®.
Issu d’une famille de 9 enfants dans un pays où les voisins mourraient de faim, il séchait les cours pour aller au cinéma, il a perdu un frère de la jaunisse, un autre est infirme suite à la polio, son père travaillait dans une usine après avoir fait la guerre et les a tous nourri convenablement, sa mère avait des biz’ pour arrondir les fins de mois. Il arrête l'école.
C’est là qu’on lui parle de la France, de l’héritage de De Gaulle, de l’Armée. Et c’est là qu’il vient, vivant sans savoir écrire et lire ces hiéroglyphes, se lavant dans des fontaines publiques comme des milliers d’autres, affrontant le regard des autres mais il découvre Mike Brandt, Aznavour, des vrais Français, des gens biens, il apprend à lire et à écrire tout seul. Il retourne au bled une fois pour se marier et ramène ma mère et nous voilà. Alors le mec, sans voiture, il porte ma mère par deux fois de Choisy jusqu’à l’hôpital pour qu’elle accouche (véridique) il cuisine, il repasse 6 heures d'affilée, il fait le ménage, se bat contre des skins, accueille des gens, fait chauffer le biberon, nous torche et nous fait déménager le jour où on a ramené une seringue pleine de haram à la maison. C’est le mec qui sait instinctivement soigner un bébé avec du camphre, des médicaments, des herbes, des massages. Clap clap
Mais mon père, il ne parle pas, n’est jamais allé au cinéma depuis plus de 30 ans, ne s’amuse pas, ne s’achète rien, tout est pour le foyer, la famille au bled, il tente de s’acheter une baraque et toute la famille transite. Des milliers d’immigrés ont fait ça et le font encore. C’est le mec, genre le parrain, qui peut rester silencieux toute une journée parce qu’il est comme ça.
C’est le genre de mec qui ne nous a jamais dit qu’il nous aimait, qui nous a tabassé à coups de ceinture, de bâtons alors qu’on n’avait pas 8 ans parce qu’on ramenait des 17/20 et pas des 20/20, ou encore parce que SPirit avait l’autorisation de sortir traîner au quartier avec ses potes mais pas de revenir les menottes aux poings insultés par les flics parce qu’il avait délinqué.
C’est le genre de mec qui a dit au lieutenant qui a instruit ma première pré-condamnation « Missieur, rrregardez son billetin di notes, il trrravaye bien à l’écoule, il est pas un con. Laissez-moi partir pour la prrison à sa place, c’est pas lui qui mérrite tout ça ». (Parce qu’au bled, si t’es arrêté, tu vas en taule et tu ressors avec un rein en moins et l’opprobre en plus).
Ce père qui n’a pas fait la différence entre le Tiers Monde et la Terre Promise. Ce père qui n’a jamais compris que la France, on y était aussi nés, on est un peu français, à défaut de l’être totalement. C’est le père qui lit aujourd’hui le Parisien et qui parle bien français. Ce père qui nous a inculqué ses valeurs de travail, de sacrifice, d’honneur par les actes et jamais par la parole, otage de sa culpabilité envers son propre père.
C’est à ce père comme il y en a des millions en France et ailleurs, de toutes couleurs, mais à ce père exceptionnel que j'écris Merci, parce que je suis comme lui, chez nous on parle pas, ça se saurait.
Je ne serai jamais un aussi bon père que lui, je ne le rembourserai jamais assez d’avoir tant fait pour moi, pour nous. Si j’ai le quart de ce qu’il est, à jamais je transmettrai son âme, cette couleur teintée de fierté et de douleur, d’espoir et d’amour que les gens de mon pays ont.
Je demeure à jamais cette virgule entre parenthèses.
Peace. SPirit, ce con cerné par les concernés.
PS: qui est Okkoha? Suite à une erreur de manipulation, j'ai refusé cette personne et j'en suis désolé.